Peaky Binder : le King reservé

Peaky Binder est un DragKing qui a des choses à dire. Et cela tombe bien car je lui ai donné la parole pour connaitre ses débuts, son parcours et ses projets.

Découvrez vite ses réponses détaillées ci-dessous.

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Pour commencer, peux-tu nous dire comment tu as découvert l’art du Drag ?

 J’ai découvert l’art du Drag, la première fois où je suis allé voir un Drag Show de Kings et Queer. C’était au Rita plage en novembre 2021. Un show organisé par le collectif des Kings Sauvages. Pour la petite anecdote, je m’étais pété la cheville la veille et j’avais quand même décidé d’y aller solo en béquille. Alors que je ne suis pas la personne la plus sociable, et que c’était à 20 min de béquille de chez moi.

Et c’était incroyable. Je me souviendrai toujours de cette soirée. Je suis passé par tout un tas d’émotions (bon faut savoir que je suis une personne hypersensible aussi). À la fin du show, j’avais envie de leur exprimer toute ma gratitude pour cette soirée, mais je n’ai pas réussi à aligner correctement mes mots pour faire une phrase. Du coup je me suis contenté d’un “merci c’était juste incroyable”. Après, j’ai pris le temps de leur écrire un message sur leur page Insta, pour développer un peu plus mon ressenti à la suite de cette soirée.

Bref je suis rentré chez moi, super heureux de la soirée que je venais de faire. Et en y repensant le lendemain, je me suis dit, je ne peux pas en rester là. J’ai ressenti beaucoup trop de choses dans mon corps pour ne pas creuser un peu le sujet.

Une personne ou un événement t’ont aidé ou persuadé de franchir le pas et de faire du drag toi-même ?

J’ai participé à un festival de Kings, « Kings de Champs » en mai 2022. C’était juste incroyable. On a passé quelques jours à la campagne dans la Drôme. J’ai rencontré plein de DragsKings et DragsQueer, avec des pratiques très différentes. Cela allait de la performance dans la salle de bain, au show devant des centaines de personnes, en passant par aller boire des coups dans un bar de campagne avec ses potes en King.

Je m’étais dit, c’est l’occasion pour moi de faire ma première performance scénique. La consigne donnée était que les performances proposées pour la soirée du samedi soir devaient être collectives. Pas de performance individuelle. C’était donc parfait quand tu n’en avais jamais fait. Mais finalement, je n’ai pas réussi à réunir suffisamment de courage et d’énergie pour performer sur scène ce soir-là. C’était une période où je me remettais doucement d’un gros burn-out, et du coup j’avais encore beaucoup du mal à gérer mon stress. Et donc j’ai préféré passer mon tour. Il y avait aussi le fait qu’avant ce festival je me sentais grave pas légitime à y aller, car justement je n’avais jamais performé sur scène. Et du coup, pour me sentir un peu plus légitime, j’avais fait un atelier Kings avec Yax fin avril. C’était un très chouette moment, on était seulement deux à cet atelier.

Je pense que j’avais besoin de passer par ces phases-là de socialisation avec d’autres Kings, pour pouvoir me sentir suffisamment à l’aise et légitime. Même si tout le monde est légitime de faire du Drag. Et pour pouvoir proposer des performances scéniques devant un public.

peaky binder dragqueens.fr
Photo par hubertphotoculture

As-tu une anecdote ou un souvenir particulier de ta toute première fois en Drag King ?

La toute première fois, c’était avec maon coloc. On avait décidé de se kinguer pour aller à une soirée sur Lyon. Je me souviens, on avait pris le métro, beaucoup de monde nous regardait bizarrement. Et nous on a cherché à prendre le plus de place possible (le manspreading c’était nous oups). Je me sentais un peu tout-puissant, c’était très euphorisant. Je me trouvais grave beau gosse, je marchais la tête haute comme si tout était tout à fait normal. Même arrivés à la soirée, les gens nous regardaient grave, et moi j’étais limite un peu gêné. Du coup, je continuais de regarder droit devant moi pour faire comme si je ne voyais pas tous ces regards posés sur moi.

D’ailleurs, on ne le savait pas, mais on a atterri dans une soirée punk, et donc, pour le coup, on sortait vraiment beaucoup du lot.

Comment pourrais-tu présenter Peaky Binder aux lecteurs ?

Peaky Binder, c’est un Drag assigné King à la naissance, mais qui n’a jamais trop adhéré aux masculinités hégémoniques qui prennent beaucoup de place. L’image qu’il renvoie, c’est une grande confiance en lui, avec une énergie assez douce. S’il a du mal à aller vers les gens, c’est surtout car il est plutôt réservé quand il ne connaît pas les personnes autour de lui (ou petite phobie sociale parfois, ou timidité, on ne sait pas). Il aime beaucoup danser et aborder des sujets à travers des textes qu’il écrit. Les thématiques abordées sont diverses, mais cela part très souvent de sentiments ou d’expériences personnelles. Qui s’avèrent en réalité des problématiques collectives, voire systémiques.

La danse est quelque chose qu’il a toujours aimé. Mais il n’a pas encore réussi à trouver des espaces, des cours de danse queer dans lesquels il se sentait bien. Donc à travers le King, il s’est remis à danser, chose qu’il avait envie de faire depuis des années.

Est-ce qu’il te ressemble de près ou de loin dans la vie civile ou pas ?

Euh oui, c’est tout simplement une extension de moi-même. Enfin, en gros, c’est moi avec beaucoup de couleurs, de paillettes et une barbe. Le fait de porter une barbe crée de l’euphorie chez moi, du coup ça me donne un peu plus confiance en moi, mais c’est tout. Du coup, parfois, je fais face à la projection que les gens ont de mon King, qui est finalement très différente de ma personne, c’est assez drôle.

Peaky Binder dragqueens.fr
Photo par Juliane Travers

 Ton pseudo a-t-il une origine ou une histoire ?

 Mon pseudo, euh… Bah du coup ça vient de la série “les Peaky Blinders”, qui étaient l’une des séries préférées de mon ex. Et du peu d’épisodes que j’ai vu, j’aimais bien l’énergie que dégageaient les masculinités des personnages principaux. Du coup, c’est plutôt ce style d’énergie que je cherchais à dégager, surtout à mes débuts dans le drag.  Sûr de lui, beau gosse, et il le sait, mais toujours accompagné de son boys band. Maintenant, ça évolue un peu et je me rends compte en réalité, que je ne veux pas jouer une autre personne que moi. C’est beaucoup trop dur. Mais du coup, oui voilà, ça part de là.

Et j’ai juste enlevé deux lettres pour le jeu de mot : Blinders -> Binder (qui est un sous-vêtement compressif très utilisé par les hommes trans, ou personnes non-binaires, pour aplatir le torse). Étant donné qu’il y a quand même une représentation assez conséquente de personnes trans dans le milieu du Drag, c’est un petit clin d’œil qui fait très souvent rire.

Tu l’as dit, tu écris tes propres textes. C’est important pour toi ?

Alors, je fais des performances sur mes propres textes, parce que les autres moyens d’expression sont très frustrants pour moi. De mon côté, je fais du Drag pour aborder divers sujets que je vis ou que j’ai vécus. Pour l’instant, je n’ai pas réussi à trouver un autre moyen que de passer par le texte pour des messages clairs, et qui se veulent le plus accessible possible. Je me suis trop souvent retrouvé face à des performances que je ne comprenais pas. Soit par les symboles utilisés, soit par le fait que les paroles des musiques étaient en anglais etc. J’étais grave dégoûté. Et du coup, je cherche vraiment à ce que les gens comprennent quel est mon message. D’ailleurs, pour la petite anecdote, la plupart du temps dans mes textes je dis “cette performance est là pour …”, pour être sûr que ce soit clair aha.

J’écris souvent mes textes dans un moment d’inspiration. Je me suis forcé une fois à écrire sur un sujet que j’avais en tête, et je ne le ferai plus jamais, c’était trop dur. Donc vraiment mon but à travers ça, c’est de faire passer des messages engageants et compréhensibles. Et c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour l’instant. Mis à part ma première performance, toutes mes performances sont accompagnées de texte (que j’enregistre, car je ne suis pas encore à l’aise pour les dire au micro).

Tu peux nous dire un peu comment tu les choisis ces sujets ?

 Très souvent ce sont des sujets personnels, sur des périodes de ma vie. Des questionnements que j’ai dans la tête, des sujets que j’ai abordés avec des adelphes, des sœurs et des frères. Et c’est juste un partage de réflexions sur le sujet.

Pour donner quelques exemples, j’ai une performance sur les modèles de relations, où je partage les nombreuses réflexions et discussions que j’ai eues sur le sujet. J’en ai une autre, sur le rapport que j’ai avec mon corps poilu, et l’évolution de celui-ci. J’ai également une performance où j’aborde une période méga sombre de ma vie (la pire pour l’instant). Celle-ci, elle est surtout dans un objectif thérapeutique. Mais également pour faire une sorte de câlin invisible aux gens dans la salle qui traversent des périodes compliquées. Pour leur dire d’une certaine façon “on le sait, la vie c’est dur”. J’en ai une autre sur la mainstreamisation du Drag, ou encore sur le fait d’avoir l’impression de jongler avec une multitude d’identités. Je suis en train d’en préparer une aussi sur le deuil.

Bref, comme on peut le voir, ce ne sont pas forcément des thématiques spécifiques aux personnes Queers. L’idée est justement de pouvoir toucher des gens non Queer aussi, et montrer finalement qu’on se ressemble sur certains pans de nos vies. Bien plus qu’on l’imagine. Ça sonne un peu “Merde, on est tous des êtres humains” (pour celleux qui ont la ref “Nos jours heureux”, coeur sur vous) mais c’est un peu l’idée parfois. Surtout quand on constate l’image négative que les gens, pas du milieu, ont des Drags.

Peaky Binder dragqueens.fr
Photo par enthea.r

Tu fais du King depuis peu, quel est ton regard sur la scène Drag locale ou nationale ?

Bah justement, j’en parle dans ma performance sur la mainstreamisation du Drag. Alors effectivement ça ne fait pas si longtemps que je fais du Drag sur scène. Donc forcément mon regard est limité en partie par ça. Mais c’est un sujet que j’ai déjà abordé avec diverses personnes, et je trouvais que nos réflexions étaient assez intéressantes. Effectivement, je trouve qu’une plus grande visibilité a été accordée à cet art ces dernières années. Grâce à certaines émissions, les Drags ont été propulsées sur le devant de la scène, et ont eu accès parfois à de nouvelles sphères.

À Lyon par exemple, il y a plusieurs Drags Show par semaine, l’offre se multiplie. Ce qui est à la fois intéressant et encourageant, mais à la fois complexe à appréhender. En effet, ce n’est pas parce que l’offre se développe que les conditions matérielles sont meilleures. Ou bien que les rémunérations des artistes soient honnêtes. Parfois les gens oublient l’histoire de cet art et donc font venir des Drags show pour faire venir du monde, amuser le public, et mettre un peu de paillettes dans leur vie. Or il ne faut pas oublier que “L’art du drag est un art qui provient de la colère, de la colère d’une société homophobe, lesbophobe, transphobe, raciste, sexiste et validiste.” (extrait du texte de ma performance sur la mainstremisation du drag).

Personnellement, j’ai envie de bousculer et questionner les gens qui viennent me voir. Pointer du doigts certains de leurs privilèges. Ça ne plaît pas forcément à tout le monde. Mais je ne vais pas m’en excuser pour autant. Au niveau National, je vois également pleins de collectifs un peu partout en France qui commencent à se monter pour proposer des shows et des ateliers. J’ai l’impression qu’il y a quand même, encore une fois, beaucoup de choses qui se passent à Paris. Mais ça commence à émerger même dans des petites villes.

Alors voilà. Faut juste, quand tu pratiques, ne pas oublier qu’il y en a c’est leur métier à plein temps. Et ces personnes ne peuvent pas accepter de performer en dessous de certains cachets. Et on doit donc faire attention à ça. Faire attention à ce qu’on accepte ou pas quand certains entreprises ou bars veulent organiser des Drags shows.

Et sur l’inclusion des Kings dans le monde des Queens ?

C’est compliqué aha. Non en vrai, dans la très grande majorité des cas, quand tu parles d’un Drag show à des personnes dans la rue, elles voient directement drag show = drag queens. En effet, elles sont plus sollicitées par les bars, et ont également plus de visibilité dans les émissions présentes à la télé. C’est pour ça qu’elles ont un rôle à jouer sur, justement, le fait de rendre visibles d’autres Drags. Et notamment des Kings, ou encore Drags Queer. Que ce soit en invitant sur leur scène, ou encore en partageant certains de leur contenu sur les réseaux. Comme pour toutes minorités, elles ont un rôle à jouer en tant qu’alliées pour éviter de reproduire certains rapports de domination. Et je remercie celles qui œuvrent déjà dans ce sens-là.

Pour finir, comment vois-tu Peaky Binder dans le futur ? Est-ce que tu as déjà des projets ou des envies à atteindre avec ce « personnage » ?

Dans le futur, je le vois s’épanouir de plus en plus. Je le vois tester de nouvelles choses. Sortir de sa zone de confort. Je le vois avoir les moyens (notamment matériels) de pouvoir proposer de superbes performances émouvantes, tristes dont on se souvient. Un peu comme ce que j’ai pu vivre la première fois que je suis allé voir les Kings sauvages en 2021. C’est ça que je souhaite pour lui.

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Merci encore à Peaky Binder pour son temps et ses réponses. Et qu’il se rassure, sur ce site les Kings, les Queers et autres Drags sont les bienvenus pour s’exprimer et se faire connaître.

Pour découvrir son travail et suivre sa page Instagram ça se passe ici.

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