La Baby Queen : Tristana Gray Martyr

Tristana Gray Martyr est mon invité aujourd’hui. Qui a dit que les Baby n’avaient rien à dire ? En tout cas pas Tristana qui, vous allez voir, apporte des réponses très intéressantes et développées à mes questions.

J’espère que vous prendrez autant de plaisir à la lire que j’en ai eu.

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Pour commencer, peux-tu nous dire de quelle manière tu as découvert l’art du DragQueen ?

J’ai toujours su ce qu’était une DragQueen, ayant grandi dans un milieu très ouvert avec une sensibilité artistique très présente. Mais je me suis plus intéressé à cette forme d’art lors d’un séjour à Londres en 2015. La capitale britannique étant un lieu propice à la créativité et à la liberté d’être. C’est en promenant dans certains quartiers que j’ai pris conscience de mon réel intérêt pour cette discipline. C’est d’ailleurs là-bas que j’ai commencé à regarder RPDR que tout le monde connaît aujourd’hui.

Mais n’adhérant pas vraiment au principe de compétition c’est en faisant mes propres recherches que j’ai réellement compris ce qu’est, et ce que fut, le Drag.

Qu’est-ce qui t’a plu dans cet art ?

Je pense que c’est avant tout la liberté de se choisir, de se construire et de s’exprimer.

Bien entendu, il y a une grande part d’esthétisme auquel je suis très sensible. Mais aussi une certaine forme d’exécutoire et d’exorcisme de traumatismes en tout genre qui me plaît beaucoup. Mais c’est aussi le fait que cela permet de se déconnecter un court instant de la vérité parfois un peu trop dure à mon sens. Ayant toujours eu un besoin exacerbé de m’exprimer artistiquement parlant c’est tout naturellement que je me suis rapproché de ce milieu.

tristana-gray-martyr-interview-dragqueens.fr

Une fois découvert as-tu hésité longtemps avant de te lancer ? Est-ce qu’un événement ou une personne t’as aidé à franchir le pas ?

Et bien oui et non ! Tout d’abord non car je n’ai pas attendu après le Drag pour m’exprimer artistiquement au travers de mon apparence. Ayant été affecté à l’âge de treize ans par une maladie orpheline « l’alopécie universelle ». Qui provoque un dérèglement du système immunitaire qui rejette le cheveu et le poil comme ennemi ; je me suis donc retrouvé en pleine adolescence complètement imberbe (ni poils, ni cheveux, ni cils, ni sourcils …).

Me retrouvant confronté à un physique que je n’ai pas choisi, j’ai très vite décidé de transformer ma particularité en une force. Et aussi de me servir de celle-ci comme d’une base pour m’exprimer artistiquement.

J’ai donc commencé très tôt à pratiquer l’art du maquillage et à porter des perruques. Cela m’a valu un bon nombre de remarques, mais étant de nature rebelle cela m’a donné très vite envie d’aller plus loin. Jusqu’à atteindre l’androgynie parfaite dans le sens où les gens se posaient sérieusement la question sur mon genre. Cet aspect m’a très vite plu. Sans le savoir je faisais du militantisme quotidien en repoussant les limites du genre.

Mais c’est dans le milieu professionnel que j’ai rencontré certains membres de la HAUS OF MORUE (House de Drag Parisienne). Et c’est en les côtoyant et en les écoutant que j’ai réellement pris conscience de ma réelle appartenance au Drag. Elles m’ont même fait réaliser que j’avais atteint un stade où je faisais du « Day-Drag ». C’est donc tout naturellement que la troupe m’a poussé à faire de la scène. J’en suis d’ailleurs extrêmement reconnaissant, car j’ai pu me trouver artistiquement parlant et trouver mon audience. Mais j’ai avant tout trouvé une famille !

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Te souviens-tu de ta première fois en Drag ? As-tu un souvenir à raconter ?

Je me souviens surtout de ma première scène, à la LIPSTRIP. Un show organisé et présenté par ma sœur Le Filip. Je n’étais pas annoncé comme participant au spectacle, j’étais en quelque sorte la surprise de la soirée. Et je n’avais aucune idée de ce que ma prestation allait donner, Ayant été briefé par mes sœurs je me suis montré confiante sur scène et je me suis lancé face à une audience qui me connaissait à peine… Une fois la performance faite je n’avais aucune idée de ce qu’il venait de se produire. J’étais dans un état second. Et c’est quand j’ai eu des retours que j’ai pris conscience de ce que j’étais capable de faire et d’offrir à un public. D’ailleurs personne ne croyait que c’était ma première scène, et pourtant si !

Pour parler de Tristana, comment pourrais-tu la présenter en quelques mots aux lecteurs ?

Tristana Gray Martyr est une femme de poigne, corrosive et réfléchie. Esclave politique évadée elle s’est réfugiée dans l’occultisme forme d’opposition à son lieu de naissance : « Lourdes ». Elle aime à se penser « blasphème né en terre sainte ».

Tristana s’est affranchie de toute forme de normalité. Elle s’oppose à la masculinité toxique encore beaucoup trop présente de nos jours. Elle maîtrise l’art du renouvellement, du militantisme, du fetish et de l’alchimie.

Entre sorcellerie et lutte acharnée, elle représente une forme de vengeance pour la différence trop souvent contrainte à s’adapter et se normaliser. Entre dictatrice de la tolérance et justicière de la différence, elle se nourrit de la noirceur afin de provoquer et nous frayer un chemin vers la « lumière ».

Sur tes photos je dirais que tu as des looks et costumes très graphiques, d’être Fashion Designer t’aides beaucoup j’imagine ?

C’est tout à fait vrai, c’est d’ailleurs ma première passion ! Le vêtement étant à mes yeux le meilleur véhicule d’une philosophie ou d’une pensée. Je vois la création d’une silhouette comme un manifeste. Mon cursus scolaire étant orienté vers la mode. J’ai pu y perfectionner mon goût et ma créativité, ce qui m’a effectivement beaucoup aidé pour mon Drag. Le Drag m’a en quelque sorte permis d’incarner ma muse.

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Est-ce qu’être ce personnage apporte quelque chose dans la vie de Dorian ?

Oui, clairement, c’est un moyen de me libérer et d’évacuer tout ce qui m’atteint au quotidien. C’est un moyen de sortir des sentiers battus et c’est aussi l’occasion de s’enrichir culturellement et personnellement. Cela me permet de lier plusieurs de mes passions qui sont complémentaires au milieu. Mais surtout d’avoir une audience pour mon message. La mode étant encore insensible à mon travail souvent trop honnête, noir, provoquant ou même hors de la tendance.

Comment est venu ton pseudonyme ? Est-ce qu’il a une histoire pour toi ?

Tristana Gray Martyr est un nom fictif que j’ai imaginé pour faire référence à Mylène Farmer. Surtout à sa chanson « Tristana » qui est ma préférée de son répertoire. Le nom Gray en référence à mon prénom civil. Mes parents ayant choisi celui-ci après lecture du « Portrait de Dorian Gray » d’Oscar Wilde. Et enfin Martyr en référence à mon amour inconditionnel pour le cinéma d’horreur et plus particulièrement au film français « Martyrs ».

Tu es encore jeune dans ce milieu, quel regard portes-tu déjà sur la scène Parisienne et française ?

Effectivement, cela fait seulement un an et demi que je fais du Drag. Mais en seulement un an, j’ai pu réaliser que la scène Drag française est très répandue et variée. Je pense en premier lieu que cette démocratisation du Drag est une très bonne chose. Cela permet d’ouvrir un peu plus notre pays à cette forme d’art. Mais aussi de donner envie à qui le souhaite de franchir le cap et de se lancer à son tour ! J’ai pu observer une évolution constante du milieu en France. Que ce soit par l’arrivée de nouvelles figures Drag mais aussi par nos ainées qui n’ont de cesse de se renouveler.

Pour ce qui est du contenu mon avis reste un peu mitigé… Ce que j’essaye de dire là c’est qu’à mon sens être artiste de scène ne s’arrête pas à se maquiller, enfiler une perruque, une tenue et de faire des figures sur scène… Le Drag en France reste assez peu référencé. Il a tendance à engendrer chez certains/nes une forme de compétition qui a pour but de surpasser ce qu’a pu faire l’autre plutôt que de chercher à se surpasser soi-même.

Je trouve ça assez regrettable parce que je pense que l’on fait ça avant tout pour soi. J’aimerais voir une scène Drag française un peu moins calquée sur des choses déjà existantes et plus diversifiée dans sa manière de présenter.

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Tristana a vocation à évoluer, performer plus (quand ça sera possible) … ou pour toi c’est plus par plaisir ?

Je l’espère fortement car la scène me manque énormément. Et le Drag est un processus de création assez court (plus court que d’élaborer une collection de vêtements par exemple) ce qui nous permet d’obtenir un résultat et une satisfaction assez rapidement.

Mais pour ma part je n’ai jamais cherché une assiduité dans le Drag qui ferait que je suis partout. J’aspire plus à en faire lorsque mon emploi du temps le permet et lorsque le besoin se fait sentir. Je pense donc pouvoir dire que je fais ça par plaisir !

Je te laisse le mot de la fin si tu as un petit message pour les lecteurs.

[ Si chaque fois qu’en bavardages

Nous nous laissons dériver

Je crois bien que d’héritage

Mon silence est meurtrier ]

Mylène Farmer – Sans Logique.

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Merci beaucoup à Tristana Gray Martyr pour cette longue interview. Vous pouvez la suivre sur son Instragram pour voir son travail.

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