L’artiste invité : Laurent Bàn
Priscilla, Folle du désert est toujours dans les mémoires collectives et un film culte pour beaucoup 26 ans après sa sortie en 1994. Celui-ci a fait l’objet d’une adaptation en comédie musicale qui avait fait l’objet d’une version française au Casino de Paris en 2017. C’est le talentueux Laurent Bàn qui jouait le rôle du fameux Dick, alias Miss Mitzi.
Et cet artiste aux multi-facettes a accepté pour moi de revenir sur cette aventure et sur son rôle. C’est un honneur qu’il ait répondu oui, j’espère que vous apprécierez cet échange.
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Pour commencer, tu as fait beaucoup de comédies musicales avant, peux-tu nous dire comment tu es arrivé sur celle-ci ?
Un simple casting, le passage obligé pour chaque artiste. Je travaille beaucoup à l’étranger depuis plusieurs années, notamment la Chine, le Japon, la Corée, la Russie, mais aussi l’Italie… et justement je revenais d’une tournée en Chine lorsque j’ai vu cette annonce ! Je n’y croyais guère, vu les allers et retours constants que j’effectuais à l’étranger. Mais tout s’est parfaitement goupillé, et pour une fois les périodes de travail se sont imbriquées parfaitement.
Connaissais-tu déjà le film avant ?
J’étais un fan invétéré du film… je l’avais vu peu de temps après sa sortie et je rêvais à l’époque d’interpréter Felicia (vu mon âge et ma condition physique) ! En 2017, j’étais passé dans une autre catégorie, celle de papa !!
Est-ce que tu as réfléchi longtemps ou hésité avant d’accepter, vu le rôle ?
La chance que j’ai eue, et qui est rare, c’est que la production (Coco Cheyenne) et l’équipe artistique ont apparemment craqué immédiatement lors de mon passage ! J’ai reçu des appels très touchants me disant que si j’acceptais les conditions, ils seraient ravis de m’accueillir dans l’équipe ! Pour moi, l’émotionnel et l’humain sont primordiaux dans le choix d’un projet et je fus profondément touché par leur envie de travailler avec moi, j’ai donc accepté quasi immédiatement surtout que j’adorais déjà le film !
Quel est ton rapport avec l’univers du Drag Queen ? Connaissais-tu avant ?
J’ai fréquenté pas mal le milieu des nuits parisiennes depuis mon arrivée à Paris en 1999. Le travestissement fait partie intégrante de mon métier. J’ai passé ma vie à me déguiser sur scène et à me mettre dans la peau de différents personnages ! J’ai également participé pendant plusieurs années (et même gagné 😂!) l’Eurovartovision, une parodie annuelle de l’Eurovision créée par Vartoch. Et je ne compte plus le nombre de robes, de perruques et les tonnes de maquillages que j’ai accumulé en 20 ans !
As-tu rencontré des Drags pour poser des questions ou travailler ton personnage ?
Je suis quelqu’un de très méticuleux. J’ai étudié en détail l’histoire des Drag-queens avec tous les moyens mis à dispo, Google, Wikipedia, documentaires sur les figures de proue du mouvement Dragqueen. Et j’avais évidemment quelques références parmi mes amis (merci à Alfredo Arias, RuPaul, au Scorp et au Banana Café qui furent parmi des références clé d’inspiration !…).
Combien de temps prenait ta transformation pour entrer dans le rôle ? As-tu appris à te maquiller toi-même ?
La préparation fut longue en terme de répétitions, de compréhension des personnages. Dans la façon de se mouvoir avec ou sans talons, d’enfiler les robes et les perruques, d’être à l’aise avec string et bas résilles… Mais au risque de décevoir le public, je n’avais aucun maquillage ! Nous avions des prothèses peintes créées par Carmen Arbues Miro ! Impossible sinon d’enchaîner les scènes et les douze transformations requises pour le show pour mon personnage !
Tu as eu de très bons rôles. Vu de l’extérieur, j’ai l’impression que celui-ci était le plus complet, proposant aux spectateurs humour, show, émotion et tendresse. Es-tu d’accord avec ça ou pas ?
Il est difficile de dire quel rôle était le plus complet ou impactant… Tu peux avoir un rôle magnifique dans un spectacle passé inaperçu, et avoir un rôle très emmerdant dans un show très médiatisé… J’en suis presque à mon 40e rôle et j’ai eu des personnages très marquants à interpréter. Tels Hamlet, Iago (Les oeuvres de Shakespeare sont magistrales à mes yeux) ou encore le Fantôme de l’opéra (même si c’était uniquement pour le doublage du Fantôme). Sans oublier Zorro qui était aussi un rôle très complexe et varié dans ses facettes et ses exigences physiques…
Mais ce rôle de Dick/Miss Mitzi est de loin le plus délicat à interpréter ! Il faut jouer le rôle d’un gay travesti professionnel qui joue les hétéros (sans y parvenir) à la fois extraverti et secret… Déconneur et timide… Drôle et parfois extrêmement rigide, qui n’assume aucune de ces facettes. Tout en évitant de tomber dans la surenchère ou la caricature…
C’était un rôle magnifique à jouer, et même si le public n’a qu’entr’aperçu 25 % des détails que j’ai créés pour l’interpréter, je suis heureux que beaucoup soient touchés par mon interprétation. Certaines personnes du public dont l’envie de créer une famille était à l’opposé de leur choix assumé de vie, m’ont même dit qu’ils avaient eu l’envie pour la première fois de leur existence d’avoir un enfant l’espace d’une scène ! L’émotion avait touché juste et avait remué en eux des sentiments enfouis… j’adore le spectacle vivant pour ça !
Il y avait vraiment une superbe ambiance festive dans la salle, avec la musique à l’entracte etc, vous ressentiez tout ça sur scène ?
Nous avons découvert tout cela à la première, lorsque les réactions aux répliques et aux situations furent extraordinaires ! Les gens avaient besoin de cette dose de bonheur dans leur vie à cette période. Distillée par un show parfaitement équilibré, à mon goût, en termes de rigueur des moyens techniques performants utilisés et des émotions ! Les gens ressentaient un équivalent de montagnes russes émotionnelles, passant du rire aux larmes en une fraction de seconde. Tout en étant percutés par la qualité des visuels et des harmonies vocales. Sans compter les nombreux solos chantés et numéros de danses au scalpel !
Il y a eu un super accueil à ce projet. Mais il n’est malheureusement pas parti en tournée ni été prolongé sur Paris. Si l’opportunité venait, tu signerais pour la reprise ?
Bien sûr, si la même qualité est au rendez-vous, je suis partant pour un nouveau tour bus !
Comme tous les artistes, le travail est à l’arrêt pour toi, quel est ton état d’esprit actuel ?
On essaye de trouver des plans B…. il faut être imaginatif et tenir ! J’ai perdu 8 mois de travail dans cette histoire et nous sommes nombreux à être dans une situation délicate ! Il faut espérer que les salles rouvrent bientôt malgré tout car beaucoup vont y perdre des plumes et risquent même de disparaître… En tout cas, personne n’en sortira indemne !
As-tu tout de même des projets que tu aimerais évoquer pour terminer cette interview ?
Je travaille actuellement sur un 5ème album pour la Chine. Dont pas mal de titres en langue chinoise avec mon excellentissime compagnon de création Christophe Houssin ! J’ai une carrière qui fonctionne plutôt pas mal à l’international. J’espère donc surtout pouvoir repartir très vite au turbin et retrouver la scène avec bonheur ! Nous sommes des travailleurs qui avançons au jour le jour. Rien n’est prédictible dans mon métier… nul ne sait ce que nous ferons à la même date dans un an…
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Merci encore à Laurent Bàn. Je lui souhaite beaucoup de réussite pour ses projets et la suite de sa déjà longue carrière. Pour être tenu au courant de ses actualités, n’hésitez pas à le suivre sur Instagram.
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