Poulette Zhava-Kiki
Poulette Zhava-Kiki est une DragQueen parisienne. Celle-ci a autant de looks que de choses intéressantes à dire. Je suis ravi qu’elle ait accepté mon invitation pour nous parler d’elle.
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Peux-tu nous dire pour débuter comment tu as découvert l’univers des Drag Queens ?
Je ne sais pas si c’est en découvrant l’univers des Drag Queens que j’en suis venu à faire du Drag. Je dirais que ça a commencé par une fascination pour un certain nombre de femmes et de personnages féminins quand j’étais enfant. Disons que quand je jouais à Star Wars dans la cour de récré, j’avais plutôt tendance à vouloir être la Princesse Leia que Luke Skywalker 😉
Après, pour en revenir à ta question, j’ai initialement plutôt découvert et été attiré par l’univers du travestissement féminin que par les Drag Queens en particulier. C’était plutôt les personnages androgynes de Mylène Farmer dans ses clips qui me fascinaient. Ou celui de Julie Andrews dans « Victor, Victoria », ou Marlène Dietrich en smoking dans « Morocco ». J’ai ensuite découvert l’univers des Drag Queens à la fin des années 1990 avec la chanson « Let me be a Drag Queen », dans des films comme « Pédale Douce » ou « Le Traité du Hasard », en sortant au Queen ou au Tango, en allant au « Bal Interlope » à la Salle Wagram, etc. Tout ça relevait davantage de l’univers de la fête et du clubbing que de la scène.
Je suis sûr qu’il existait des formes de spectacles Drag à Paris à cette époque-là, mais je suis malheureusement passé à côté. À défaut d’avoir découvert la scène parisienne à cette époque, le premier vrai show Drag auquel j’ai assisté c’était à San Francisco en 2004. Dans un lieu qui s’appelait Trannyshack. C’était dans le quartier de South of Market, super mal famé à l’époque, dans un bar queer et cuir pas du tout mainstream (The Stud). C’était drôle et décadent, c’est là que j’ai vraiment compris la puissance performative et irrévérencieuse du Drag.
Qu’est-ce qui t’a plu dans cet art ?
Je ne voyais pas ça comme un art au départ. Dans ma démarche, c’était plutôt une forme d’expression de colère et de dégoût. Ça relevait d’une volonté de me singulariser de mon environnement social. J’avais 20 ans, c’était en 1997, je venais de rentrer en école d’ingénieur. Je débarquais dans ce monde super viriliste et je voulais à tout prix crier le plus fort possible « je ne suis pas comme vous ! ». C’est là que j’ai commencé à me traveloter quand j’allais dans les soirées d’écoles d’ingénieur. De façon à ce qu’il soit très évident, sans que j’aie besoin de crier, que j’étais très différent des autres garçons de mon école.
J’ai assez peu pratiqué après le début des années 2000, et puis dans les années 2015-2016, j’ai assisté au renouveau de la scène Drag à Paris. J’ai commencé par aller voir des shows à Paris : il y avait les Paillettes, la Jeudi Barré de Cookie Kunty, l’Extravag’Enza d’Enza Fragola, les House of Moda, la Gang Bambi… J’y ai rencontré des gen·tes que je n’aurais jamais rencontré·es autrement et qui sont devenu·es des ami·es. J’ai eu envie de faire partie de ce mouvement. Donc je pense que l’un des premiers éléments qui m’a plu dans la pratique du Drag c’est le fait de faire partie d’une communauté nouvelle. Après, j’ai un tempérament plutôt laborieux. C’est-à-dire que j’aime passer du temps à bosser sur des trucs, je suis minutieux et perfectionniste, et j’aime tout faire moi-même.
Ces dimensions de ma personnalité font que je m’éclate pas mal dans mon boulot de la journée. Je suis enseignant-chercheur à l’Université. Mais que je m’éclate aussi dans le Drag. J’aime passer du temps à coiffer des wigs. J’aime passer du temps à préparer des lipsyncs, à faire des montages audio hyper compliqués qui mélangent des répliques de vieux films que personne ne connaît, d’obscures chanteuses des années 60 et de la pop contemporaine. Et j’aime la minutie que requiert le maquillage Drag.
Est-ce qu’une personne ou un événement t’a aidé à « franchir le cap » d’en faire ?
La première Drag Queen que j’ai voulu aller voir sur scène c’est Clémence Trü dont j’avais fait connaissance sur Twitter. La première personne qui m’a poussée sur scène c’est Gurshad Shaheman, que je connais depuis plus de 12 ans. C’était il y a un peu plus de 4 ans, il montait son premier « Cabaret Dégenré » à l’occasion de la soirée de clôture de Confluences. Un centre d’art contemporain alternatif qui se trouvait dans le 20e arrondissement). L’idée était de créer ce spectacle de cabaret en quelques jours. Et que ce spectacle soit à la fois une fête un peu foutraque et un moment de nostalgie militante puisque c’était un chouette lieu de création qui disparaissait.
J’ai fait une performance sur le Parc Belmont de Diane Dufresne. Je crois que ça n’a pas vraiment convaincu le public, hahaha. Et pour finir, la première Drag Queen qui m’a bookée pour un show avec un cachet à la clé c’est Minima Gesté. J’ai fait une performance avec du Marlène Dietrich et du Beth Ditto parce que le Génie Lesbien. Et je crois que ça a au moins convaincu Minima Gesté, c’est le principal. Voilà, je crois que je n’ai oublié personne.
Tu te souviens de ta première fois en Drag ? As-tu un souvenir à nous raconter ?
Je pense qu’un des souvenirs qui subsiste le plus encore aujourd’hui c’est ce truc super ambivalent du Drag, où, une fois complètement en tenue, on se sent à la fois un peu invincible et en même temps super vulnérable. Il y a ce costume complètement transgressif qui donne de la force. Et en même temps dans l’espace public on est super exposé·es. Je me souviens avoir poireauté avec mon meilleur ami, rue de l’Étoile juste à côté de la salle Wagram, en full Drag (enfin, la version 1999 de mon Drag…). On attendait que nos potes arrivent pour rejoindre enfin le Bal Interlope, et m’être dit « mais pourquoi je m’impose ça ? ». À chaque fois des mecs passaient en caisse pour nous siffler ou nous insulter. Et puis hop, cette insécurité a disparu dès qu’on est rentrés dans la salle.
Encore aujourd’hui, quand j’attends mon Über en full Drag en bas de chez moi, c’est une pensée que je ne peux pas complètement scotomiser. Oui, je me permets de placer mon mot préféré de la langue française dans cette interview, oui. Je déteste cette parenthèse d’insécurité entre la maison où l’on se prépare et le lieu safe où l’on fait le show.
Pour parler de Poulette Zhava-Kiki, comment la présenterais-tu en quelques mots ?
Quand j’ai commencé à faire de la scène, j’ai écrit une biographie hyper documentée sur Poulette Zhava-Kiki pour donner un peu de corps à mon personnage. Je ne renie pas cette biographie fictive qui était rigolote à écrire (et qui doit encore exister quelque part dans les internets). Mais la vérité c’est que Poulette c’est moi, en Drag. Et dans ma tête c’est comme si je fonctionnais un peu comme une antenne qui capterait l’énergie des personnages féminins qui m’inspirent pour l’incarner et la redistribuer auprès du public qui vient me voir. C’est ce que produisent les femmes (et les hommes gays) culturellement, artistiquement, politiquement aussi, qui m’a toujours le plus inspiré. Et ce sont ces œuvres-là que j’ai envie d’évoquer avec mon Drag.
Est-ce que ton pseudonyme à une histoire ?
Oui évidemment ! La première fois où j’ai débarqué travelotée à une soirée dans mon école d’ingénieur, il y a une fille de ma promo que je ne connaissais pas encore très bien qui m’a dit « Ah mais t’es une Poulette toi en fait ! Bon bah je vais t’appeler Poulette. ». Et c’est resté. Elle est devenue ma meilleure amie. Elle l’est toujours, elle m’appelle toujours Poulette, son mari et leurs quatre enfants aussi. Pour leurs enfants, mon prénom c’est Poulette. Il y a ce moment rigolo quand ils et elles grandissent où avec leurs parents, on doit leur expliquer qu’en fait Poulette ça n’est pas réellement mon prénom. Le petit dernier a un an et demi. On a encore 4-5 ans devant nous avant de devoir avoir cette difficile conversation avec lui. Pour l’instant je suis toujours uniquement Poulette et je continue de trouver ça adorable.
Bon et puis j’ai rajouté le nom Zhava-Kiki à mon prénom quand j’ai commencé à faire de la scène histoire de faire un jeu de mot. Mais personne ne le comprend et j’en ai pris mon parti 😉
Tu es une Queen à barbe. Est-ce que cela est politique pour toi, ou par amour de ta barbe ?
C’est un choix esthétique surtout. D’abord par rapport à ma vie de tous les jours où je me préfère avec une barbe. Et aussi pour mon Drag. Dans la mesure où ça ne m’a jamais intéressé d’aller vers l’illusion parfaite d’un certain archétype de la féminité. J’aime le Drag très « painted ». Pour prendre des références qui vont parler à tout le monde je suis plus Trixie que Katya. Et je pense que quand on est dans une démarche aussi non-réaliste que celle de Trixie par exemple, la question de la présence ou de l’absence de barbe est assez accessoire. En fait, la barbe offre même davantage de possibilités en termes de couleurs et de formes pour peindre son visage.
Et puis j’adore la réaction des mecs cis hétéros qui ne comprennent pas ce qu’ils sont en train de voir quand ils me regardent. Le concept leur échappe. Ils sont tellement dans une vision super binaire de la notion de genre qu’ils ne savent pas quoi faire avec ce que je propose. Comme on dit : « of course sex is great, but have you tried essayer de bousculer les mecs cis hétéros dans leurs idées arrêtées en les pointant du doigt (c’est mon seul move de danse, j’avoue) ? ». C’est politique, ça ?
Cela représente quoi pour toi d’être Drag Queen ?
J’ai l’impression d’avoir un peu répondu à cette question dans toutes mes réponses précédentes 😉 Je me souviens d’une discussion que j’ai eue à ce sujet sur Twitter avec quelqu’un que j’aime beaucoup lire, Lickie McGuire (@lckmcgr). Elle a beaucoup travaillé sur l’histoire du Drag en France. Et plus particulièrement sur l’histoire des Drag Kings en fait. Elle expliquait que la tradition française des Drag Queens relevait davantage — je la cite — des « Tatas de troquet » et des « Folles de Cabaret ». Ce sont deux archétypes dans lesquels je me reconnais parfaitement. Ce que j’aime dans l’idée du Drag c’est ce mélange de performance scénique et de proximité avec les vrai·es gen·tes.
Je n’aime pas l’idée d’un spectacle où il n’y aurait aucune proximité avec le public. J’aime au contraire l’idée d’un spectacle intimiste, où la déambulation parmi le public est possible. Tout comme le fait de trinquer au comptoir entre artistes et public. Ce que par exemple la Big Bertha réussissait magnifiquement avec son Big Bertha’s Klub.
Étant une Queen basée sur Paris, quel est ton point de vue sur la scène Drag de la capitale ?
Faisons abstraction des 9 derniers mois. Parce que ça fait quand même 9 mois que c’est catastrophique pour tout le monde. Particulièrement pour celleux dont c’est la principale source de revenus : artistes, artisans, DJs, organisateur·ices de soirées, gérant·es de lieux de sociabilité LGBTQI+, etc. J’ai la chance que ma principale source de revenus soit mon métier de la journée. Ce n’est pas le cas de tout le monde dans notre scène Drag. Et je pense qu’on devrait tous·tes garder ça en tête, et être solidaires autant que possible.
Ceci étant dit, si je repense à ce qu’était la scène Drag parisienne en mars 2020, je dois dire qu’il a pu m’arriver d’avoir un point de vue assez contrasté. J’aurais aimé continuer à être fan de tout le monde, comme au début. Mais mon goût s’est affiné, ma conception du Drag s’est précisée. Il y a tellement de monde maintenant dans cette scène que forcément, tout ne me plaît pas. C’est un conflit intérieur que j’ai souvent eu des difficultés à résoudre. Je reconnais que j’ai fini par me forger des idées assez rigides sur ce que devrait être un show Drag. Quel public il devrait viser et quelles genres d’histoires il devrait raconter.
J’ai parlé de tout ça un soir avec Gurshad Shaheman pendant un de nos apéros-visios du confinement. Il a choisi une métaphore théâtrale que j’ai trouvée très juste (il est auteur, metteur en scène et comédien de théâtre en plus d’être le MC du Cabaret Dégenré). « Tu ne peux pas empêcher une troupe de théâtre de monter « L’Avare » de Molière en costumes et décors et mise en scène hyper-réalistes du 18e siècle. Voire d’avoir du succès pour ça. Bien sûr, toi et moi on trouve ça sans intérêt. Ce n’est pas cette histoire qu’on a envie de raconter. Et quand bien même ce serait cette histoire qu’on déciderait de raconter, on ne le ferait certainement pas comme ça. Mais tu ne peux pas empêcher que d’autres le fassent.
Tu as le droit de ne pas aller les voir et tu as le droit (le devoir ?) de choisir de proposer autre chose. C’est ça qui est important ». Donc j’en suis là : j’ai une opinion sur ce qui se fait, je la partage quand on me la demande. Et en vrai j’ai juste hâte que ce confinement s’arrête pour pouvoir retourner voir les choses qui me plaisent et les gens que j’aime. Bon, et j’espère aussi avoir des occasions de remonter sur scène pour raconter les histoires que j’ai envie de raconter.
As-tu remarqué une évolution depuis que tu en fais ?
Encore une fois, je fais abstraction des 9 derniers mois. En 2016, quand j’ai recommencé à me traveloter, on était finalement peu nombreux·ses dans la nouvelle scène Drag parisienne. Quatre ans plus tard, la scène a explosé. On le voit notamment quand on regarde les photos des maraudes du Sidragtion des dernières années. D’un côté, je trouve ça génial que plein de gen·tes se travelotent. Et d’un autre côté, passer en quelques années d’une scène où on se connaissait tous·tes. Et où on était tous·tes présent·es à tous les shows qui existaient à Paris, à un tel foisonnement de shows et de Queens et de Kings qu’il est devenu matériellement impossible de maintenir ce rythme et ce réseau. C’est une évolution que je n’ai pas trouvée évidente.
Il m’est arrivé de m’épuiser à accepter toutes les propositions qu’on me faisait. Tout en voulant aussi assister à tous les shows qui existaient. C’est devenu intenable donc j’ai dû prendre du recul. C’est peut-être l’intérêt d’avoir une scène Drag qui a explosé : il y en a maintenant pour tous les goûts et tous les shows affichent complet. Je n’ai plus à m’imposer d’être dans le public à chaque show pour soutenir la communauté. La communauté se débrouille très bien sans moi. Et puis en vrai, comme je le disais plus tôt, il y a des propositions artistiques qui me touchent et d’autres qui ne me touchent pas. Il y a des personnes qui se comportent bien et des personnes qui se comportent mal. Il y a des personnes que j’aime, des personnes qui m’indiffèrent et des personnes que je n’aime pas.
Comme dans la vie de tous les jours en fait. J’ai compris que je pouvais à présent me permettre le luxe de choisir qui j’ai envie d’aller voir, qui j’ai envie d’inviter, qui j’ai envie de soutenir et avec qui j’ai envie de bosser. Finalement, ça détend.
Pour finir, as-tu des projets, malgré la situation, que tu aimerais évoquer ou passer un petit mot aux lecteurs ?
Je vais faire une réponse à la Minima Gesté : j’ai plein de projets, mais je n’ai pas le droit de t’en parler 😉
Et pour le mot de la fin, j’ai envie de rappeler aux lecteur·ices que le Drag c’est du spectacle vivant. Et que le spectacle vivant, ça fait 9 mois qu’il est moribond. Or lui non plus, il n’est pas « inutile et superflu ». Dès que ce sera possible, revenez vite nous voir. On a besoin de vous et on a hâte de vous retrouver !
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Merci encore à Poulette Zhava-Kiki pour son temps et ses réponses. N’hésitez pas à la suivre sur Instagram ou Facebook.
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